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"Hum,
la nuit va bientôt tomber, nous ferions peut-être mieux de
chercher un abri pour la nuit, non ?"
La voix du petit médecin trahissait son angoisse à l'idée
de traverser la forêt de Baikotsu de nuit. Il faut dire que
les sinistres gémissements du vent dans les arbres et les
ombres mouvantes dans les buissons y étaient pour beaucoup.
Et les soudains hurlements des loups encore plus. Sans parler
des nombreuses rumeurs proclamant que l'endroit était hanté.
"Il est clair que nous n'aurons pas le temps de rallier la
plaine avant l'obscurité totale... Eshin, qu'en penses-tu
?"
La jeune Princesse Pimiko se tourna vers son fidèle garde
du corps. Ce dernier leva les yeux, humant le vent, et annonca
:
"Nous allons avoir du gros temps pour la nuit. Effectivement,
nous devrions peut-être chercher un abri au plus tôt.
- L'idée de dormir sous la pluie ne m'enchante guère. L'un
de vous connaitrait-il un abri dans les environs ?"
Un "non" collectif fut la réponse.
"Bon, nous pouvons encore chevaucher un peu alors, jusqu'à
trouver un endroit adéquat..."
Ils chevauchèrent au trot pendant encore un quart d'heure,
sous le dais épais et sombre de l'antique forêt, lorsque Samu
Jiro s'écria :
"Hé, là-bas, je vois une grande maison !"
Ils tournèrent leur regard vers une vaste bâtisse construite
au sommet d'une colline basse surplombant la forêt.
"Comment se fait-il que nous ne l'ayons pas remarquée plus
tôt ?," dit Eshin, le regard suspicieux.
Soudain, un éclair zébra le ciel et un féroce roulement de
tonnerre leur arracha un sursaut.
"Je ne m'en soucie guère, et puis nous avons là un parfait
abri pour la nuit, non ?," dit Samu, la figure livide.
"Oui, mais...", commenca Eshin.
La Princesse interrompit son garde du corps, alors que les
premières gouttes de pluie commencaient à tacher sa robe kimono
de pure soie noire brodée d'argent :
"Hum, la perspective d'être trempée jusqu'aux os m'incitent
fortement à m'intéresser à cette villa, Eshin...
- Oui, votre Altesse. En ce cas, laissez-moi partir tout de
suite en éclaireur."
Et Eshin, malgré ses suspicions, mit son cheval au galop pour
aller inspecter l'endroit dont ils allaient faire leur abri
pour la nuit.
Lorsque les autres le rattrapèrent, il les attendait devant
une grande stèle de pierre. Gravée dans la roche étaient les
mots :
"Auberge de la Fleur d'Oranger"
"Eh bien, une auberge, nous avons de la chance dirait-on,"
dit la Princesse. Eshin acquiesca :
"Je suis allé voir plus haut, c'est éclairé et l'endroit me
semble convenablement tenu.
- C'est parfait alors, merci Eshin."
Ils gravirent le reste de la pente rocailleuse vers le plateau
sur lequel avait été bâti l'auberge. Cette dernière était
entourée d'un vaste mur de pierre de plus de deux mètres cinquante
de haut, que l'on pouvait supposer servir à repousser les
voleurs et brigands. Elle aurait fait une très belle forteresse,
aussi, quand on y pensait sérieusement...
Le portail à l'entrée était fermé, mais il s'ouvrit deux minutes
après qu'ils aient sonné du gong sur le côté de la grande
porte de bois. Une silhouette maigre leur ouvrit, un sourire
obséquieux aux lèvres.
"Mes seigneurs, nous sommes honorés de recevoir une si belle
compagnie en notre humble enseigne..."
La Princesse mit rapidement un terme aux présentations d'usage,
la pluie commencant à s'infiltrer dangereusement au travers
de la soie de sa robe, et ils entrèrent les uns derrière les
autres. Ils n'étaient pas préparés à ce qu'ils allaient voir
de l'autre côté.
Le ciel orageux était tel un dôme, au dessus de la vaste cour
à l'atmosphère parfumée par les orangers en fleurs, qui donnaient
à l'endroit une beauté à la fois subtile et irréelle, cernant
au centre un étang artificiel dans lequel nageait une kyrielle
de carpes colorées, mouvant de délicates fleurs de nénuphars
au gré de leurs jeux. Ils marchèrent lentement sur le gravier
blanc et fin qui recouvrait toute la place, s'émerveillant
de l'impression de paix qui les envahit.
Même les coups de tonnerre semblaient assourdis, ici.
Ils entrèrent enfin dans l'auberge après avoir confié leurs
chevaux à un petit palefrenier souriant, et furent introduits
auprès de l'aubergiste. Cette dernière, car l'établissement
était dirigée par une femme, s'adressa à eux avec une voix
à la fois douce et autoritaire, caractéristique des femmes
habituées au commandement.
"Soyez honorés, nobles voyageurs, et bienvenue en ces lieux.
Je suis Minako, votre hôtesse.
- C'est un plaisir que de découvrir un lieu aussi enchanteur
au milieu de la tourmente. Votre auberge sera un asile bien
agréable pour nos corps et nos esprits fatigués, et soyez
assurée que vous serez grassement récompensée pour vos services,
car je suis la Princesse Pimiko, nièce de l'Empereur, et voici
mes compagnons et serviteurs : Eshin, mon garde du corps,
Samu Jiro, mon ami et médecin, et Takashi Isao, un samurai
et lui aussi un viel ami."
L'aubergiste s'inclina lentement, face contre terre, dans
un geste plein de grâce et de cérémonie.
"C'est un honneur que de recevoir le sang impérial dans mon
enseigne, soyez assurée, Princesse, de recevoir le traitement
qui convient à votre rang."
Le reste de la soirée se déroula comme un rêve enchanteur.
Le repas fut exquis, la musique, jouée et chantée par Minako
elle-même, était sublime, arrachant même des larmes à la Princesse
aux moments les plus poignants (et à samu Jiro aussi, soit
dit en passant). Ils furent ensuite introduits dans des chambres
vastes et somptueusement meublées, traités tels des rois.
Samu Jiro soupira de contentement en s'affalant sur le moelleux
futon qui fut mis à sa disposition. Il partageait la même
vaste pièce que Eshin et Takashi, tandis que la Princesse
avait eu droit à sa chambre personnelle.
"Eh bien, je suis content que nous ayons trouvé un tel endroit,"
dit-il.
Eshin tira la grimace, et dit :
"Je ne sais pas, il y a quelque chose de pas net, dans cet
endroit. C'est un peu trop... parfait.
- Que veux-tu dire ?
- Je ne sais pas vraiment. Juste une impression."
Le médecin se tourna vers Takashi, son ami ex-ronin, et lui
demanda :
"Et toi, qu'en penses-tu ?
- Grmph.
- Toujours aussi loquace à ce que je vois."
Samu avait répondu en souriant. Takashi ne parlait presque
jamais, à moins d'y être forcé.
"Bon, je pense que nous ferions mieux de nous coucher à présent.
Notre route est encore longue jusqu'à Yama, demain."
Ils se couchèrent donc, Eshin ne dormant que d'un oeil.
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"Mais
puisque je te dis que nous aurions du tourner à droite au
second carrefour !
- C'est impossible, la carte dit bien de continuer tout droit
pourtant.
- Montre-moi ca."
L'homme se pencha sur la carte toute froissée que tenait sa
compagne. Il lâcha enfin :
"Tu te rends bien compte que le nord, c'est par là ?
- Ah bon, c'est par là ?"
Gros soupir contrarié.
"Ecoute, Yuko, laisse-moi m'occuper de ca, d'accord ?
- Ca aurait été plus facile pour moi si nous n'avions pas
été dérangés par ces brigands, je perd ma concentration à
chaque fois.
- Je t'avais dit de ne pas perdre ton temps à les soigner...
Ces individus n'ont eu que le sort qu'ils méritaient...
- Tu es un peu cruel là, et puis tu n'y es pas allé de main
morte, quand meme.
- Je te l'ai dit, ils n'ont eu que ce qu'ils méritaient.
- Tout de même, tu leur a brisé les jambes et les bras avec
tes prises !
- Un véritable festin pour les loups, c'est ainsi que je vois
la chose.
- Zhang Liang, tu es terrible.
- Je sais, je sais. Par Zanonai, voilà qu'il pleut maintenant.
On ferait mieux de se dépêcher de trouver un endroit où s'abriter
pour la nuit.
- Et pourquoi pas cette villa là-bas ?
- Quelle villa ?
- celle-là, en haut de la colline.
- Curieux, je ne l'avais pas remarquée... Elle n'est pas sur
la carte non plus.
- Si on allait voir ?
- Je suppose que nous n'avons guère le choix. Bien, allons-y."
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Elle
n'arrivait pas à trouver le sommeil, dérangée par les bruits
de l'orage au dehors. Elle se retournait et se retournait
dans son futon sans parvenir à s'assoupir, et finit par se
dire qu'un bain bien chaud l'aiderait certainement.
La Princesse Pimiko se leva donc silencieusement et s'engagea
dans le couloir. Elle passa sans bruit devant la chambre de
ses compagnons, et descendit tranquillement l'escalier, se
dirigeant vers la petite aile du bâtiment qui servait aux
bains.
Elle eut la surprise de voir que le feu servant à chauffer
l'eau n'était pas encore éteint, et c'est avec empressement
qu'elle le raviva en ajoutant quelques buches, trépignant
d'impatience à l'idée d'un bon bain bien chaud.
Elle pénétra dans la pièce servant aux bains, plongea sa main
dans l'eau pour en goûter la température, puis, quand le bain
fut assez chaud pour elle, se déshabilla et s'engagea dans
la baignoire avec un soupir d'aise.
La Princesse s'amusa à contempler les ombres qui défilaient
sur les murs de papier de la petite piece faiblement éclairée,
dessinant monstres et silhouettes menacantes au gré des mouvements
des branches des orangers du dehors. Un léger courant d'air
froid caressa soudain son cou, lui arrachant un frémissement,
et elle plongea la tête dans l'eau, au grand dam de l'énorme
serre aux doigts longs et crochus qui était sur le point de
l'attraper...
Elle se releva d'un coup du bain, et décida qu'il était temps
de sortir avant que sa peau ne se froisse à force d'avoir
été plongée dans l'eau, et la main monstrueuse se retira contre
son gré dans les ténèbres.
Elle s'épongea vivement, chantonnant une mélodie improvisée,
puis sortit, un large sourire aux lèvres, refermant doucement
la porte derrière elle.
Dans l'ombre, la créature grogna de frustration.
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Il
chevauchait depuis des heures à présent.
Le seigneur Kaji, inquiet de ne pas voir la Princesse Pimiko
arriver, avait envoyé son meilleur samurai partir à sa rencontre,
et on ne pouvait pas dire que Ryu était des plus heureux de
chevaucher ainsi sous la pluie battante...
Mais son devoir passant avant tout, il effectuerait sa mission,
et la mènerait à bien, à savoir retrouver la princesse et
la ramener au palais des Gogenso saine et sauve.
La forêt de Baikotsu était réputée pour être un endroit dangereux,
et son seigneur avait effectivement toutes les raisons de
s'inquiéter pour la Princesse. Il suivait la piste en sachant
qu'il aurait dû rencontrer la Princesse et son groupe depuis
un bon moment déjà, quand, levant les yeux, il vit la vaste
silhouette d'une imposante villa bâtie sur les hauteurs d'une
colline.
Il ne se souvenait pas avoir jamais vu la construction au
cours de ses nombreux passages au travers de la forêt, mais
son instinct lui dit que la Princesse avait peut-être préféré
trouver refuge là-bas.
Soudain, il sentit une présence cachée dans les buissons,
et se retourna immédiatement, dégainant l'un de ses sabres.
"Qui va là ? Identifiez-vous !"
Un homme sortit enfin des ténèbres, vêtu pantalon noir et
d'un haut de kimono rouge brodé d'un dragon doré. Sur son
dos était un énorme cimeterre à deux mains.
"Ohla, je ne vous veux pas de mal, je ne suis qu'un simple
voyageur !
- Identifiez-vous !
- Ryuko Mitsunaga est mon nom."
Ryu s'approcha et inspecta l'inconnu, qui lui rendit la pareille.
Au bout d'un moment, le samurai reprit :
"Je suis à la recherche d'un groupe de voyageur, une femme
escortée par trois hommes, vous ne les auriez pas vus par
hasard ?
- Vous parlez de la Princesse Pimiko ?
- Oui ! Comment connaissez-vous son nom ?
- C'est une amie. Nous devions nous retrouver au Palais des
Gogenso, mais je me suis un peu perdu dans ces forêts...
- Eh bien, vous ne semblez pas le seul, je suis à leur recherche
depuis une bonne heure. Vous êtes allés voir là-haut ?"
Le samourai indiqua la grande batisse sur la colline.
"Je ne l'avais jamais remarquée.
- Ah, vous non plus ?
- Je suppose que nous devrions aller voir en ce cas. Et puis
cette pluie commence sérieusement à m'agacer, pas vous ?
- Je suppose, oui. Allons-y. Grimpez derrière moi sur mon
cheval."
Et ils repartirent, se dirigeant vers ce sinistre endroit
qu'était l'Auberge de la Fleur d'Oranger...
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