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Année
1086 du Calendrier de la Faille, fin de l'été.
Il marcha, lentement, le long de la grande rue du village
désert. Il était arrivé trop tard, ici aussi. Le soleil frappait
avec force, rendant l'atmosphère étouffante.
Il savait qu'il était arrivé trop tard, à cause de l'odeur.
L'humeur pestilentielle qui couvrait le village était une
preuve suffisante pour indiquer que plus aucun être vivant
n'était là pour enterrer les cadavres ou les incinérer.
Il soupira.
L'épidémie de Peste Rouge avait frappé comme dans quinze autres
villages de la région, avec une puissance et une soudaineté
presque surnaturelle. Le Clan Gogenso, maître de ces terres,
était impuissant, et on parlait déjà d'une mise en quarantaine
complète des terres du Clan.
Le vieil homme s'arrêta. Il avait entendu un bruit.
Il s'approcha d'une masure à l'orée du village. Il surprit
un petit garcon, sans doute agé de sept ou huit ans, en train
de traîner un sac presque aussi grand que lui. L'enfant le
vit, et s'immobilisa, le fixant silencieusement.
Le vieil hopmme se rapprocha, de sa démarche toujours paisible.
L'enfant ne paraissait pas effrayé, mais au contraire, une
immense lassitude semblait occuper ses traits.
"Bonjour, Enfant.
- Bonjour, Grand-Père.
- Es-tu seul ?
- Non. Je m'occupe de ma famille.
- Tes parents sont toujours vivants ?"
Sur ses mots, l'enfant lui fit signe de le suivre, trainant
le gros sac.
"Qu'y a-t-il dans ce sac ?
- De quoi manger, pour mes parents, mes frères et ma soeur.
- Ce que tu fais t'honore. Laisse-moi partager ton fardeau."
Ils arrivèrent jusqu'à une cabane, à l'écart du village. La
famille de l'enfant devait être très pauvre, à voir l'état
de sa demeure.
L'enfant traina le sac jusqu'à l'entrée, puis le fouilla et
en sortit un sac de riz. Il courut alors jusque dans la maison,
criant :
"J'ai ramené de la nourriture ! J'ai ramené de la nourriture
!"
Personne ne répondit cependant, et le vieil homme fronca du
sourcil. Il pénétra dans la maison à la suite de l'enfant,
se doutant déjà de ce qu'il verrait.
L'enfant était agenouillé devant l'âtre au centre de la pièce,
commencant à préparer le riz. Au fond de la pièce, alignés
les uns à côté des autres, sept cadavres, immobiles, à la
teinte marquée parune pourriture croissante.
Le vieil homme s'approcha de l'enfant, qui continuait de vaquer
comme si de rien n'était.
"Cet enfant est en train de sombrer dans la folie, se dit
il, et je me dois de l'aider. Il sera le seul à survivre."
Le vieil homme s'approcha de l'enfant, et dénoua le ruban
de soie rouge avec lequel il retenait son sac. Il en sortit
une petite fiole, et demanda à l'enfant s'il accepterait de
se faire examiner. L'enfant renacla d'abord, puis se laissa
faire.
Il s'apercut que les marques de la peste rouge avait frappé
l'enfant, mais qu'il avait récupéré. Seul. Ce seul fait étonna
le vieux médecin, qui venait de trouver là le premier individu
à guérir de la maladie de lui même.
Le processus de guérison de l'Esprit fut plus long. L'enfant
refusait de croire que sa famille était morte.
"Ils sont endormis, et ils se réveilleront quand j'aurai fait
suffisamment à manger !"
Cela n'arriva pas. Une semaine plus tard, le vieil homme quitta
le village abandonné avec l'enfant, dont il fit par la suite
son apprenti. L'enfant se révéla doué, et, à la mort du Maître,
l'élève reprit son nom, et continua de servir la cause que
lui avait enseigné le vieil homme. Il devint un médecin réputé,
et il fut amené à servir des personnalités importantes.
Mais l'enfant n'oublia jamais, ce doux baiser que la Peste
lui fit, alors qu'elle emportait les gens qu'il avait aimé.
Non, il n'oublia pas. Il n'oublirait jamais.
Cet enfant, c'était moi.
- Extrait des mémoires de Samu Jiro, reconstituées après
sa mort à partir de ses divers écrits et journaux.
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Eshin
attendait, calmement, que l'artisan sortât de son atelier.
Ce dernier s'inclina une nouvelle fois :
"Si vous voulez bien me suivre..."
Eshin le suivit dans une chambre à l'arrière de l'échoppe.
Une fois assis, il tendit à l'artisan le poignard qui avait
servi à planter la lettre de menace à l'encontre de la Princesse
Pimiko.
L'artisan forgeron examina silencieusement la lame, caressant
son tranchant, sondant sa garde.
"Pouvez-vous me dire qui a forgé ce poignard ?
- Hai. Cette arme a été forgée par un maître forgeron que
je connaissais très bien. Je peux même vous dire à qui il
a appartenu.
- Oserais-je vous demander son identité ?
- Oui, il s'agit du père de la Princesse Pimiko. Ce poignard
fut un cadeau de l'Empereur à son égard. Je suis étonné, car
nous croyions tous ce tanto disparu il y a des années de cela,
lorsque les terres du père de la Princesse Pimiko furent frappées
par la Peste Rouge. Les désordres qui ont eu lieu à l'époque
avaient fait perdre la trace d'un certain nombre des possession
de la famille de la Princesse.
- Je comprends. Je vous remercie, je suis à présent votre
obligé.
- Oh, ne vous troublez pas pour un petit commercant comme
moi. Promettez-moi simplement de commander votre prochaine
lame dans mon échoppe, et ce sera mon tour d'être votre obligé."
Eshin quitta l'échoppe de l'artisan forgeron, se dirigeant
vers le Palais du Shogun où il devait retrouver Ryu et Samu.
Ainsi ce poignard avait appartenu au père de la Princesse.
Par Zanonai, il aurait gagné beaucoup de temps en l'interrogeant
directement, mais sa volonté de la protéger lui avait fait
perdre du temps.
Leur ennemi était caché quelque part, ici, dans l'enceinte
de la Cité Impériale, et il venait peut-être de perdre là
la seule chance de le retrouver.
Il devait voir la Princesse, et se hâta.
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