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"Que
veux-tu dire, en disant que c'est ton sang qui a été utilisé
?
- Celui qui a écrit est un ennemi bien plus puissant tu l'imagine.
Sa puissance est celle d'un Kami.
- Je crois que tu me dois quelques explication, Samu."
Le médecin s'assit et se mit à parler, serrant entre ses doigts
le doux ruban de soie rouge qu'il arborait comme signe de
son statut.
"Il y a quatorze ans, moi et mon maître étions de passage
dans la Cité Portuaire du défunt père de Pimiko, et nous y
sommes restés coincés à cause d'une épidémie de peste rouge.
La quarantaine fut ordonnée par l'Empereur, et nous fîmes
notre possible pour guérir les malades.
C'est là, peu avant le commencement de l'épidémie, que j'ai
rencontré Pimiko-hime. Nous nous sommes liés d'amitié, elle
et moi. Elle m'avouait s'ennuyer terriblement dans son Palais,
et enviait ma possibilité de m'en aller à tout moment. Je
lui rendis son amitié, car j'étais moi-même un enfant solitaire.
Puis la peste la frappa, elle aussi.
Je n'ai jamais autant appris sur la Peste Rouge que ces jours-là,
alors que j'essayais, avec mon maître, de trouver un moyen
de la sauver.
Puis, un soir, celui où elle devait mourir, j'ai prié Zanonai
d'empêcher le Kami de la Peste de faire son oeuvre.C'est alors
qu'Il m'a parlé. Un chuintement à mon oreille, une étreinte
sur mon coeur. Son ton était amusé, et il semblait lire en
moi facilement.
Il m'a dit me connaître depuis longtemps, j'avais marqué sa
mémoire. J'avais été l'un des rares à lui avoir résisté seul.
"Pourquoi veux-tu la sauver, Enfant ?
- Parce que sa vie mérite d'être sauvé, comme celle de toutes
vos autres victimes."
Il ricana, déréglant le rythme de la circulation de mon sang,
me forcant à porter la main au coeur sous la douleur.
"Qui es-tu pour pouvoir décider du Destin des hommes ?
- La vie est un don inestimable, c'est ce que dit mon sensei.
- La vie n'est qu'un revers de la même médaille, Enfant. La
Mort est là, elle aussi. Nierais-tu le cycle naturel des choses
?
- Je ferai mon possible en ce sens, oui.
- Pourquoi faire ce choix si vain ? Tu sais que tu ne vaincras
jamais la Mort.
- Parce que je veux espérer."
L'esprit-kami de la Peste Rouge sembla alors me prendre dans
ses bras, et je me souvins alors avoir déjà connu cette sensation,
deux années avant, alors qu'une épidémie du même type avait
frappé les terres du Clan Gogenso, m'arrachant ma famille.
"C'est vous, c'est vous qui m'avez pris mes parents.
- Oui, c'est bien moi."
Sa voix me caressait, mais ma peau semblait pâlir alors qu'il
continuait de me parler.
"Qu'espères-tu ? Une revanche ?
- Non, Sensei dit que c'est mal de vouloir se venger.
- Tiens donc ? Et pourquoi énonce-t-il une telle absurdité
?
- Parce que, quoique nous fassions, dans la violence, il n'y
a jamais de vainqueur. Jamais.
- Ton Maître est sage, Enfant, il a entrepercu une vérité
qui devrait faciliter son échappée du cycle des réincarnations,
à sa mort. Quoi qu'il en soit, que me donnerais-tu pour la
vie de cette petite fille ?
- Ma propre vie.
- Voyons, n'as-tu pas dit toi-même que toute vie est précieuse
? En quoi sa vie vaudrait-elle plus que la tienne ?
- Parce que... parce qu'elle est mon amie.
- Tu m'amuses, Enfant, mais cela n'est pas assez... Le destin
de cette petite fille est de mourir ce soir. Je n'irai pas
contre le contenu de son karma.
- Faisons un pari, alors.
- Un pari ? Que me proposes-tu ?
- Je vous parie que, si vous lui en laisser le temps, Pimiko
prouvera qu'elle mérite un destin bien plus grand que celui
de mourir ce soir.
- Et que feras-tu si elle ne se montre pas digne de toute
facon ? Je refuse de perdre tant d'années à attendre et à
me priver de son sang si délicieux...
- Alors prenez un peu de ma vie, pour ce sursis que vous lui
accordez. Prenez-moi autant d'années que vous lui en donnerez."
La voix se tut pendant un long moment. Je vis la peau de Pimiko,
translucide, pulser sous les battement du sang qui battait
à toute allure, la couvrant de cicatrices d'un rouge vif.
Elle allait mourir, et effectivement, elle mourut.
Pendant une minute, elle connut l'au de-là.
Puis la voix de la Peste Rouge revint, sous mes appels répétés.
"Prenez ma vie ! Son destin n'est pas de mourir ce soir !
- Tu m'ennuies, Enfant.
- Je vous en prie ! Si elle ne se montre pas digne du karma
que vous allez lui accorder, vous prendrez aussi ma vie avec
la sienne !
- Tu m'ennuies, mais tu m'amuses. Les mortels sont tellement
obstinés. C'est d'accord, je tiens le pari avec toi. Je reviendrai,
quand elle sera prête à se marier, et nous verrons alors si
le karma qu'elle s'est forgé valait mon abstinence. Mais j'y
mets une condition.
- Laquelle ?
- Elle devra ignorer ce qui s'est passé ce soir. Jamais tu
ne devras en parler avec elle.
- C'est promis. Je la guiderai, mais me tairai.
- Pari tenu, en ce cas.
- Pari tenu."
Alors la Peste fit ce qu'elle devait faire : elle se délecta
de mon sang à la place de celui de la Princesse, lui donnant
la vie qu'elle m'arrachait. Et c'est ce sang qu'elle a recraché
pour écrire la lettre de menace. Mon sang."
Le médecin s'arrêta de parler, scrutant le sol.
"J'ai du mal à te croire.
- C'est pourtant la vérité, et l'Esprit de la Peste Rouge
est revenu, pour juger de Pimiko, et la prendre.
- En ce cas, il suffit que vous vous présentiez à elle le
moment venu. Ce que tu as fait équivaut à un serment. Vous
vous devez le tenir.
- Pas si l'un des parieurs a triché.
- Triché ?
- Deux années après ce terrible soir, alors que j'étais reparti
avec mon Maître, la Peste est revenue. Et elle a essayé de
tuer Pimiko, brisant le serment qui nous liait.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas. La Peste est un esprit capricieux, qui aime
frapper au hasard."
Cette fois, ce fut au tour de Ryu de rester silencieux. Il
se leva, commenca à faire les cent pas pour s'arrêter soudain.
"Tu te rends compte que nos chances face à un kami sont presque
inexistantes ?
- Oui, je le sais. Mais je lutterai. Un médecin n'abandonne
jamais face à la maladie."
Ryu se mit à rire.
"Samu, tu ne changeras jamais. Ce doivent être tes origines
paysannes qui t'ont rendu aussi buté. Mais ce n'est pas grave.
Ma loyauté envers Kaji-sama et Pimiko-hime reste sans faille.
Nous lutterons. Au moins pourrons-nous dire avoir essayé.
- Je te remercie.
- Et as-tu une idée de comment la Peste va frapper, cette
fois-ci ?
- Je ne sais pas. La dernière fois, deux années après mon
pari, la Peste Rouge a possédé un des membres du Palais du
père de Pimiko, puis l'a kidnappé pour ensuite essayer de
la tuer. Mais la Princesse a toujours refusé de me raconter
ce qu'elle a vécu.
- Pourquoi cela ?
- Parce que c'est ce soir-là que la Peste est revenue, et
lui a tout raconté. Tout, alors qu'elle ignorait ce pari que
j'avais fait, et toutes ses implications. La Peste avait décidé
de tricher, et venait la tuer avant l'heure. Le choc l'a traumatisée,
je le sais, mais je lui ai promis de rester silencieux. A
la différence de nous tous, Pimiko n'est pas soumise à un
quelconque destin, elle a la possibilité de l'écrire elle-même.
- Et c'est pour cela que tu es resté tout ce temps à ses côtés,
pour l'aider à réaliser son propre destin.
- Oui.
- Bien, je suppose qu'il ne nous reste plus qu'à trouver le
malheureux que la Peste va posséder cette fois-ci pour tuer
Pimiko. Il est hors de question qu'on intente à la vie de
la Princesse, même si c'est un kami que nous avons pour ennemi.
J'espère que Eshin a trouvé quelque chose avec ce poignard..."
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