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Haito
Kanakura, responsable de l'organisation de ce qui serait bientôt
connu sous le nom de feux d'artifice, s'occupait de réprimander
deux ouvriers qui manipulaient un petit tonneau de poudre
avec un peu trop de désinvolture.
Il savait quelle puissance un petit tonneau de cette taille
pouvait dégager, et il n'allait pas laisser deux inconscients
ruiner son travail.
Il se calma volontairement lorsque son regard se posa sur
un autre manoeuvre, qui transportait une caisse d'outil.
Son teint était d'une paleur cadavérique, et ses vaisseaux
sanguins veinaient sa peau d'un éclat rouge presque inquiétant.
Il se demanda s'il n'était pas porteur d'une quelconque maladie.
Une nouvelle épidémie était bien la dernière chose dont la
Cité Impériale avait besoin. Poussé aussi bien par le sens
du devoir que par le refus de voir son travail réduit à néant,
il abvandonna les deux ouvriers maladroits pour se diriger
vers ce manoeuvre.
Ce dernier avait le regard étrangement vide, et quand Haito
posa sa main sur son épaule pour l'arrêter, le contact avec
sa peau fut d'un froid presque glaciale.
La manoeuvre se retourna, portant son regard vide sur Haito,
qui ne put s'empêcher de reculer, quasi-instinctivement. L'artificier
avait déjà vu bien des choses, mais cet homme lui glacait
les sangs.
"Je suis désolé d'interrompre votre travail, mais auriez-vous
quelques minutes à m'accorder ?
- Dans quel but ?"
Son ton était morne, si morne en fait qu'on ne pouvait meme
pas l'accuser d'insolence.
"Votre... santé m'inquiète. Je veux que vous alliez consulter
un médecin, vous ne me semblez vraiment pas dans la forme
qui convient pour un travail aussi... risqué"
Car il ne manquait plus que ce type ait un malaise en portant
un baril de poudre, et c'en serait fini de la moitié de la
Cité Impériale...
"Je refuse."
Haito regarda droit dans les yeux vides de cet homme, assez
audacieux pour discuter ses ordres.
"Je vous ordonne de vous présenter devant notre médecin immédiatement
! Obéissez ou je vous fait exécuter !"
L'annonce ne lui fit ni chaud ni froid.
L'homme se mit à avancer dans sa direction, son visage devenant
de plus en plus inquiétant.
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"Cet
homme a essayé de te tuer, devant tous les ouvriers ?
- Oui. Il avait un regard... vide, comme s'il n'avait pas
d'âme. Il a fallu sept hommes pour le maîtriser ! J'ai bien
cru que nos réserves de poudre allait bien exploser dans la
bagarre !
- Où est-il ?
- Ligoté dans la réserve, j'attendais ton arrivée pour le
remettre aux autorités du Shogun.
- Tu as bien fait."
Ryu et Haito se dirigèrent vers la réserve, suivi de Samu
Jiro, qui avait assisté à l'entretien en silence.
"Les célébrations ont commencé, et tout s'annonce bien, on
dirait.
- Oui."
La concision de Ryu ne rassura guère l'artificier.
Ils arrivèrent dans la remise. Haito s'avanca, et s'exclama
: l'homme n'était plus là, ses liens gisant à terre. Ils parcoururent
la pièce du regard quand une silhouette bascula au dessus
d'eux, assénant un coup de pied à la tête de Ryu. Samu le
vit, un bref instant, et un nouveau coup au coeur le frappa
alors qu'il croisa le regard vide de l'homme.
C'est Lui.
Le médecin cria, se lancant à la poursuite de l'homme. Haito
aida Ryu à se relever :
"Je ne peux pas vous suivre, le feu d'Artifice est pour dans
vingt minutes !
- Ne t'inquiète pas. Respecte le programme."
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La
Princesse Pimiko faisait son possible pour paraître naturelle.
La foule autour d'elle et de son nouvel époux en train de
la regarder ne la rassurer guère.
Il est là, quelque part, parmi eux.
Mon cousin.
Hitsuri.
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Ils
s'engagèrent dans une rue étroite, toujours à la poursuite
du manoeuvre. Samu Jiro lanca, entre deux halètements :
"C'est bien lui. Il a les marques de la Peste Rouge sur son
corps."
Ryu avait dégainé ses deux sabres, prêt à trancher la chair
de ce monstre. Ils coururent longtemps, et Samu s'essoufflait
plus vite que Ryu. Il finit par faire signe au Capitaine de
la Garde du Shogun de continuer sans lui.
Ryu parvint sur une petite place occupée par un bazard. Il
leva les yeux et vit le Possédé par la Peste grimper une série
d'échaffaudages et se lanca à sa poursuite. Arrivés sur le
toit, le Possédé se retourna, lui adressant cette fois un
sourire menacant.
"Pourquoi n'abandonnez-vous pas ? Je peux vous tuer à l'instant
même.
- C'est ce que nous verrons."
Ryu s'élanca, faisant danser ses sabres, et il trancha le
bras du Possédé.
Qui ignora complètement ce geste, et projeta une giclée de
sang provenant du point d'amputation sur le Capitaine de la
Garde. Ce dernier hurla de douleur quand il sentit la brûlure
glacée de la Peste lui flêtrir la peau. Ses veines luirent
d'un éclat écarlate, aloirs que la maladie se propageait dans
son corps.
Il se redressa tout de même.
"Tu ne m'auras pas si facilement, démon !"
Il vit le Possédé ramasser son bras, et le remettre à sa place.
Voilà qui n'arrangeait pas les choses. C'était bizarre, mais
il se dit intérieurement qu'il avait eu largement sa part
de monstres lors de l'année précédente. Commencer la Nouvelle
Année avec un kami démoniaque était un présage aux interprétations
aussi multiples que diverses.
Il soupira, se mordant la lèvre pour ignorer la douleur qui
lui brûlait le bras gauche. Le sang du Possédé continuait
de suintait, s'infiltrant toujours plus profondément malgré
ses protections. Il allait devoir se battre avec un seul bras.
Le Possédé recula, et Ryu avanca d'autant. C'est alors qu'il
se rendit compte que le bâtiment sur lequel ils étaient surplombait
le canal situé au devant du Palais où avait lieu le mariage,
ce canal même que les jeunes mariés allaient emprunter pour
partir en lune de miel.
Et Pimiko et Kaji se tenaient sur la place, saluant la foule,
en ce moment-même.
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La
lame jaillit comme sortie de nulle part.
Il avait bien visé, le tanto se planta droit dans la poitrine
d'Hitsuri. Eshin s'Attendait à le voir tituber, mais la nature
surnaturelle de son ennemi se fit évident quand il retira
le poignard pour le jeter dans sa direction, le forcant à
sortir de sa cachette.
Il sauta sur le côté, dégainant son sabre, prit appui sur
un rebord, et s'élanca à nouveau. Ryu venait de se rendre
compte de sa présence mais suivait déjà ses mouvements avec
son dernier sabre utilisable. A deux, ils avaient une chance.
Autour d'eux, le feu d'artifice commenca. Le ciel fut illuminé
de milliers de feux colorés. Ils ne purent s'empêcher d'être
distraits par la beauté des artifices de Haito, si bien que
Hitsuri se pencha en arrière sur le rebord, et tomba.
Eshin et Ryu se précipitèrent alors et le virent tomber sur
le rebord pavé du canal, le bruit des feux d'artifice masquant
le craquement de ses os.
Un suicide ?
Non, c'était trop beau. Ils le virent se relever, comme si
de rien n'était, et leur adresser ce regard vide si inquiétant.
Les deux héros se décidèrent à le suivre, en descendant le
plus rapidement possible la paroi du bâtiment sur lequel ils
étaient.
Ils perdaient du temps, beaucoup trop de temps !
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Samu
Jiro déboucha sur le canal au moment où Hitsuri finissait
d'égorger le dernier manoeuvre de la jonque, la jonque qu'allaient
emprunter Kaji-sama et Pimiko-hime. Une fois embarqué, il
les tueraient sans doute l'un et l'autre lorsqu'ils monteraient
à bord, dans quelques minutes.
Il tenta de crier, pour avertir la Garde, mais le bruit assourdissant
des pétards et des feux d'artifice rendirent ses cris inaudibles
pour l'assistance. sa frustration grandit et il se décida
à charger Hitsuri.
Il tomba sur le dos du Possédé par la Peste, hurlant :
"Vous avez triché ! Vous n'avez pas tenu votre parole !
- Au contraire, petit homme, je vais la tenir."
Hitsuri projeta Samu sur le pavé, et dénoua les liens qui
retenaient la jonque, manoeuvrant du gouvernail en direction
du ponton qu'allaient utiliser Kaji-sama et Pimiko-hime.
Le médecin se releva tant bien que mal alors que surgissaient
Ryu et Eshin. Il vit la maladie surnaturelle qui frappait
Ryu. Il indiqua à Eshin la jonque, et commenca à soigner Ryu.
Il usa de son art du Toucher Divin, l'ensemble des techniques
de pression des points vitaux, afin de repousser la maladie
en attendant que les médicaments qu'il venait de donner à
Ryu fassent leur effet.
Pour l'avoir déjà soigné, Samu reconnut instinctivement les
points sur lesquels appuyer, et même s'il arracha un cri de
douleur à Ryu, il savait qu'il serait rétabli d'ici une dizaine
de minutes.
Ce qui ne l'empêcha de courir rejoindre Eshin, qui était sur
le point de plonger dans l'eau pour nager à la poursuite de
la jonque.
"Vous avez besoin de mon aide ?"
Samu se retourna et vit Haito, armé de sa fidèle gérarquebuse.
L'artificier lanca un clin d'oeil malicieux au médecin, et
continua :
"Tu vas voir, c'est ma dernière invention."
L'artificier sortit un grappin de son sac, et l'enfourna dans
le canon de son arme, suivi d'une bonne dose de poudre.
"C'est comme ca que j'ai fait accroché les lampions au sommet
du Palais Gogenso..."
Il visa, et fit feu.
Le grappin jaillit avec violence - et force fumée - de son
arme (à jamais inutilisable, selon l'opinion de Samu) pour
aller se planter à l'arrière de la jonque.
"Vite, Samu, aide-moi à attacher cette corde !"
Les deux hommes attachèrent la corde aussi vite qu'ils purent
et contemplèrent Ryu et Eshin utiliser la corde pour arriver
jusqu'à la jonque.
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Ryu
parvint enfin sur le pont de la jonque, Eshin défiant déjà
le Possédé. Le remède de Samu commencait à faire effet, et
même si la douleur était encore présente, il avait récupéré
la maîtrise de ses deux bras.
Eshin brandit son sabre et Ryu les siens, chacun de part et
d'autre du Possédé. Ils leur fallait faire attention au sang
pestiféré, mais ils n'avaient aucune idée de la facon d'éviter
les éclaboussures avec leurs armes tranchantes.
Ryu eut presque envie d'avoir un tetsubo sous la main. Un
bon coup sur le crâne devrait être des plus efficace dans
la situation où ils étaient. Le Capitaine vit alors le regard
que Eshin décocha en direction d'une corde trainant sur les
planches.
Il comprit immédiatement.
Le Possédé restait sur la défensive, et esquiva lorsque Ryu
le chargea - pour mieux trébucher alors que Eshin tendait
la corde sur le sol. Hitsuri tomba lourdement sur le plancher,
sans essayer de se rattraper, ignorant manifestement la douleur.
Les deux hommes furent immédiatement sur lui, et commencèrent
à essayer de le ligoter, mais ils furent impuissants devant
la force du Possédé, qui déchira les liens sans difficulté.
Soudain, une poudre blanche fut projetée sur le corps d'Hitsuri,
lui arrachant - enfin - son premier cri. Eshin et Ryu se tournèrent
pour voir Samu et Haito qui avaient fini par arriver jusqu'à
la jonque.
"Il y a deux moyens de vaincre la Peste, dit le médecin. Le
feu et la pharmacopée. Je pense que Haito et moi avons le
nécessaire."
Samu et Haito sortirent chacun un sachet de poudre, l'un avec
de la poudre blanche, l'autre avec de la poudre noire.
"Nous allons voir si tu peux résister à ma poudre, monstre
!"
Haito sortit une mèche, l'alluma - cela lui prit quand meme
une minute - et la lanca sur Hitsuri qui subit la déflagration
de plein fouet. Les traces de brûlures qui parcouraient à
présent son corps arrachèrent une grimace à l'artificier,
mais sa cible était encore d'attaque - à sa grande déception.
Il allait devoir tripler la dose de poudre.
Samu continuait de projeter sa poudre blanche sur le corps
hurlant d'Hitsuri qui se convulsait exactement comme un malade
de la Peste Rouge au stade terminal. Pour l'immobiliser une
fois pour toute, Ryu et Eshin plantèrent leurs sabres en travers
du corps du Possédé, le clouant contre le pont, et désormais
à la merci du médecin et de l'artificier.
Hitsuri lanca alors, d'une voix glacée :
"Tu ne gagneras pas, petit homme ! Ta médecine ne pourra rien
contre moi ! Je suis la Peste, tu m'entends ? La Peste Rouge
! Jamais la médecine ne me vaincra !"
Haito et Samu, d'une même voix, les mots comme dictés par
Zanonai, répondirent :
"La Science et le Savoir te vaincront, Peste. C'est cela,
ton destin !"
L'averse de poudre blanche et noire eurent raison du Possédé,
dont il ne resta plus bientôt qu'un amas de chair et de cendres
mêlées.
Alors, enfin, ils s'effondrèrent tous en même temps, épuisés,
le feu d'artifice se poursuivant au dessus d'eux. Ils prirent
enfin le temps de l'admirer, reprenant leur souffle, et quand
leurs regards se croisèrent à nouveau, ils éclatèrent de rire.
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Ce
fut Samu qui en fit la remarque :
"Hum, je crois qu'ils ont besoin de la jonque."
Les quatre hommes regardèrent du côté opposé du canal, et
virent Kaji et Pimiko attendre - une légère moue d'impatience
sur la figure, la jonque qui devait les emmener en lune de
miel.
"Je suppose que nous allons devoir remplacer l'équipage au
pied levé?
- Je crois que tu as bien deviné. La cérémonie doit continuer,
et le programme doit être respecté.
- Ryu ?
- Oui ?
- Tu penses qu'ils nous laisserons les suivre ?
- Après ce que nous venons de faire, je crois que nous avons
bien mérité deux semaines de vacances au soleil."
Et ils se remirent à rire.
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