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Les
deux hommes pénétrèrent dans le bureau du médecin et diplomate,
une pièce de taille moyenne et sobrement meublée. De vastes
étagères y couvraient tout un mur, contenant des milliers
de rouleaux de manuscrits soigneusement rangés.
"Voici son bureau, Kishiro-san, et donc le vôtre jusqu'à son
retour. Voici la commode où il range son matériel d'écriture,
et c'est ici qu'il range ses dossiers les plus urgents. Il
a aussi laissé des instructions pour vous, consignées dans
le rouleau que voici. J'espère que vous vous en sortirez.
- Ne vous inquiétez pas, Ginzu-san, je connais mon travail.
Soyez remercié pour l'aide que vous m'avez apportée.
- Ce fut un honneur, et un devoir, Kishiro-san. Comme vous
le souhaitiez, vos affaires ont été transportées dans votre
chambre. Je vais vous laisser à présent, bon courage."
Sur ces mots, l'homme sortit et laissa le nouveau-venu se
familiariser avec ce qui serait son nouveau bureau pendant
un certain temps. Samu Jiro-san était parti en mission pour
l'Empire, et en son absence, c'était lui, Gogenso Kishiro,
disciple de la Voie du feu, qui avait été désigné pour assurer
l'interim.
Il s'agenouilla face au petit bureau, et commenca à lire le
rouleau écrit de la main de Samu Jiro.
"Soyez honoré, mon cher remplacant, pour avoir accepté de
poursuivre ma tâche.
Vous trouverez dans cette lettre toutes les informations nécessaires
au suivi des affaires en cours et que je laisse à vos bons
soins. Les archives sont compilées dans mes étagères, et les
dossiers sont rangés suivant 3 grilles d'identification, par
date, par thème et par importance. La notice ci-jointe devrait
vous éclairer à ce sujet. Notez bien que selon l'alinéa 7
du..."
Une voix s'éleva du dehors, de l'autre côté de la porte de
papier, interrompant sa lecture :
"Seigneur Kishiro, je vous apporte les dossiers en attente
de traitement.
- Je vous en prie, entrez."
Un domestique pénétra dans la pièce, les bras chargés d'un
nombre incalculable de rouleaux d'écriture.
"Où puis-je les déposer, kishiro-sama ?"
Kishiro n'en revenait pas de la quantité des rouleaux amassés
entre les bras du petit domestique.
"Hum, posez-les là. Je les trierai tout à l'heure."
Le domestique s'exécuta promptement, et quitta le bureau après
force courbette et cérémoniel.
Kishiro s'approcha du tas de manuscrits et soupira.
Samu Jiro-san n'était absent que depuis 2 jours, comment faisait-il
pour abattre une telle quantité de travail de facon régulière?,
pensa-t-il à voix haute.
"Samu est un grand travailleur. J'ai toujours été impressionné
par la facon dont il faisait face à la fois aux affaires diplomatiques
et aux devoirs inhérents à son statut au sein de l'Académie
de Médecine."
La voix de la nouvelle arrivée le surprit, et il s'inclina
précipitemment, front contre terre, quand il reconnut son
interlocutrice - la Princesse Pimiko.
"Votre Altesse, c'est un immense honneur pour moi que de vous
voir ici, dans cet humble bureau..."
La Princesse laissa échapper un petit rire :
"Ne vous inquiétez, Kishiro-san, je suis habitué à venir ici.
Samu et moi avions pris l'habitude de discuter de temps en
temps, sur les affaires en cours, et je suppose que c'est
avec vous que je discuterai jusqu'à son retour.
- C'est un tel honneur, votre Altesse, je..."
Il était sans voix, c'était la première fois qu'il approchait
de si près la Princesse Pimiko. Ils discutèrent quelques minutes,
et elle lui donna quelques conseils sur la marche à suivre,
puis prit son congé de lui, aussi silencieusement qu'elle
était arrivée. Ses derniers mots en sortant furent :
"Estimez-vous heureux de ne pas avoir à assumer ses cours
à l'Académie en plus..." dit-elle avec un petit clin d'oeil,
"Vous n'imaginez pas à quel point Samu est un homme occupé."
Kishiro resta là, les yeux fixés sur la porte, pendant encore
quelques minutes après le départ de la Princesse, puis regarda
l'énorme tas de rouleaux. Il poussa un soupir, et commenca
à les parcourir.
Il avait vraiment beaucoup à faire.
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Il
releva brusquement la tête du bureau sur lequel il s'était
endormi. Le soleil brillait au dehors, et il se frotta lentement
les yeux pour chasser les derniers relents de fatigue, puis
se leva et fit quelque pas maladroit pour chasser les crampes.
Il se retourna et contempla d'un air satisfait la petite pile
de dossiers qu'il avait déjà traité pendant sa première nuit
de travail. S'il y mettait les efforts nécessaires, il arriverait
à bout de tous ces dossiers dans la semaine.
Il alla à la porte, l'ouvrit et inspira lentement, emplissant
ses poumons de l'air du matin. L'aube devait s'être à peine
levée, car il voyait plusieurs membres du clan s'entrainer
dans la cour, exécutant des katas simples, destinées á ceux
qui souhaitent juste s'échauffer les muscles. La plupart d'entre
eux occupait des postes de fonctionnaires, comme lui, mais
ils continuaient de s'entrainer physiquement, histoire de
garder la forme (et surtout parce que Kinzoku-sama, le Maître
de la Voie du Métal, imposait à tous les membres du Clan une
discipline stricte quant à la forme physique, même pour les
lettrés de la Voie du Feu, et forcait donc tout le monde à
s'adonner aux katas dès le petit matin...)
Il enleva le haut de son kimono et alla prendre place dans
un coin dans la cour de gravier blanc, se préparant à son
tour à effectuer quelques exercices, quand une petite silhouette
le bouscula, et il tomba en arrière en poussant un cri rauque.
L'assistance ignora royalement Gogenso Kishiro et le garcon
qui venait de le percuter, immensément concentrée sur ses
exercices. Une voix criarde s'éleva au loin:
"Petit garnement ! Revenez ici, c'est votre père qui ne va
pas être content !"
Kishiro chercha du regard la silhouette du garcon qui l'avait
fait tomber mais ne vit personne. N'ayant guère envie de se
soumettre à la question lorsque la personne qui venait de
crier arriverait jusqu'à lui, il se contenta de rammasser
rapidement son haut de kimono et rentra dans son bureau.
Il s'installa tranquillement, quand il vit une silhouette
cachée à côté de la commode. Le garcon.
Il lui jeta un regard méfiant, mais le garcon lui fit signe
de se taire. Au dehors, ils entendirent passer en râlant la
silhouette courbée d'une vieille servante. Quand elle fut
bien loin, le garcon poussa un soupir de soulagement et s'approcha
de lui.
C'est alors que le fonctionnaire reconnut l'enfant, et ses
traits si particuliers.
Il s'agissait de Kai, le fils aîné de Kinzoku et de dame Flu.
Le regard malicieux de l'enfant était rehaussé d'un sourire
coquin, d'où pointait des canines un peu trop prohéminentes
pour un enfant humain, et qui rappelait sans cesse le fait
que sa mère était une Orcesse. C'était la seule marque trahissant
son métissage, et Kishiro se dit qu'il l'aurait reconnu plus
facilement s'il avait eu ce teint verdâtre propre à son espèce...
Il se mordit la lèvre. Malgré tous ses préjugés, cet enfant
était le fils du Champion d'Emeraude et il lui devait le respect,
malgré son métissage.
L'enfant s'approcha, et dit :
"Samu-san n'est pas là ? Que faites-vous dans son bureau ?"
Kishiro le regarda lentement. Il était anormalement grand
pour un enfant de deux ans et demi (il en faisait presque
huit), et ses épaules étaient presque aussi larges que les
siennes - sûrement encore une manifestation du sang orc.
L'enfant continua de s'approcher, ses yeux noirs toujours
plongés dans les siens. Il lâcha enfin:
"Vous aussi, vous n'aimez pas mes dents ? Je le vois à votre
regard, mon apparence vous gêne."
Kishiro s'étouffa en excuse et en dénégations, mais l'enfant
voyait juste. Il avait beau se forcer au nom du devoir, il
éprouvait une certaine répulsion vis à vis de l'enfant métis.
"Samu-san n'est pas là?", répéta l'enfant.
"Non, Samu Jiro-san est parti en mission, pour l'Empereur,
et je le remplace pendant son absence.
- C'est triste, j'aurais voulu discuter avec lui aujourd'hui...
- Et de quoi aurais-tu voulu discuter, mon enfant ? Je suis
sûr que si je peux t'aider...
- Si vous voulez... Samu-san devait continuer de m'apprendre
à lire.
- Tu apprends à lire ?! A ton âge ?"
L'enfant le regarda de ce même regard pénétrant.
Kishiro se ravisa. Cet enfant était incroyablement précoce.
Le sang Orc avait des effets qu'il ne soupconnait pas.
"Et, hum, par quoi avez-vous commencé ?
- J'apprends le premier syllabaire, l'hiragana. Samu-san me
donnait une pile de papier et je m'entrainais à refaire chaque..."
Soudain, une silhouette entra précipitemment dans la pièce,
le même domestique qui la veille avait apporté la pile de
dossiers à Kishiro.
"Kishiro-sama, vous devez vite venir, il se passe quelque
chose de grave !"
Kishiro jeta un regard vers le petit Kai puis annonca :
"J'arrive tout de suite. Que se passe-t-il exactement?
- Karasu-sama ne m'a rien dit sinon que c'était très urgent.
Je vous en prie, Kishiro-sama, venez vite!
- Bien, je vous suis."
Le fonctionnaire se tourna vers le fils de l'actuel Champion
d'Emeraude et lui dit :
"Tu devrais retourner auprès de ta gouvernante. Je te promets
de continuer les lecons de Samu-san dès demain.
- D'accord. Au revoir Kishiro-san.
- Au revoir, Kai-chan."
Et les deux hommes quittèrent le bureau d'un pas rapide.
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Il
pénétra en silence dans le vaste bureau de Karasu-sama, Maître
de la Voie de l'Eau, et Kerei de Gogenso Kaji-sama, le chef
du Clan. La charge de travail de Karasu avait décuplé depuis
l'ascension du chef des Gogenso à son nouveau statut de Shogun,
et c'était plongé dans un tas de paperasserie que Kishiro
le trouva.
Des effluves d'un encens léger parfumaient subtilement l'atmosphère,
et Kishiro s'agenouilla pour s'annoncer, puis, après l'énoncé
des formules d'usage, Karasu l'invita à s'agenouiller face
à lui. La pièce était plongé dans une étrange pénombre bleutée,
et le Maître de la Voie de l'Eau portait un sobre kimono noir
bordé de bleu nuit. Kishiro le vit sortir un rouleau de papier,
qu'il lui tendit.
Le jeune fonctionnaire et magistrat accepta le rouleau, puis
demanda poliment ce qu'il en était et ce qu'on attendait de
lui. Le premier Keirei du Clan lui répondit brièvement :
"Lisez le rouleau, tout y est consigné. Je compte sur vous
pour que cette affaire soit menée à bien rapidement. Samu
Jiro-san avait un don pour régler ce genre d'affaires, nous
allons donc voir si vous êtes à la hauteur de vos nouvelles
responsabilités."
Kishiro déglutit imperceptiblement. Karasu était en train
de le tester, et il était impératif qu'il donnât bonne impression.
Il s'inclina et remercia Karasu pour l'honneur qu'il lui faisait,
puis prit son congé silencieusement.
"Cette affaire sera réglé au plus tôt, Karasu-sama.", furent
ses derniers mots avant de quitter la pièce.
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Il
chevauchait depuis plusieurs heures déjà, suivi de deux yojimbos,
et réfléchissait en silence sur la situation.
Deux familles inféodées au clan Gogenso étaient actuellement
en train de se disputer une vallée au nord des terres du Clan.
Toutes deux avaient fini par demander un arbitrage du chef
du Clan, et c'était à Kishiro qu'était finalement retombée
cette responsabilité.
Il arriva enfin à la vallée disputée, et eut la surprise de
voir deux campements l'un face à l'autre - comme si deux armées
allaient s'affronter d'un instant à l'autre. Un homme vêtu
du kimono bordé de rouge caractéristique des Disciples de
la Voie du Feu l'attendait.
"Je suis honoré de votre présence ici, Kishiro-san. Je suis
Yuzen, et je suis le magistrat en charge de cette région.
- Je suis tout aussi honoré, Yuzen-san. Et si vous m'exposiez
un peu la situation ?
- Eh bien, il n'y a pas grand chose à dire. Ces deux familles
se querellent sur la possession de cette vallée cultivable,
et elles sont, comme vous le voyez, sur le point de régler
cela par les armes...
- Je vois. Comment faisaient-elles jusqu'à présent ?
- Les deux familles exploitaient la vallée conjointement,
Kishiro-san, jusqu'à de récentes querelles qui n'ont fait
que s'envenimer. A présent, les deux familles sont sur le
point de s'entretuer si nous ne faisons rien.
- N'y a-t-il aucun document dans les archives impériales ou
celles du Clan permettant de déterminer exactement l'identité
du propriétaire de la vallée ?
- Rien, Kishiro-san, nous avons déjà passé les archives au
peigne fin.
- Hum, cela ne s'annonce guère aisé. Quoique je fasse, l'une
des deux parties en ressortira mécontente, et un conflit ouvert
ne manquera pas d'éclater entre elles.
- C'est bien ce que nous craignions, Kishiro-san."
Kishiro rumina un instant, puis annonca :
"J'ai une solution. Réunissez-moi les chefs des deux familles
sous votre tente dans une heure, et j'exposerai mon jugement.
- Très bien, Kishiro-san."
L'heure passa, et les chefs des deux familles se présentèrent,
se toisant l'un l'autre avec méfiance. Kishiro était simplement
agenouillé face à une tasse de thé, et il leur fit signe de
s'asseoir après les politesses d'usage. Puis, d'un geste,
il donna l'ordre à Yuzen de s'avancer. Ce dernier déroula
un rouleau sur portant le sceau du Clan, et en entama la lecture.
Les deux chefs de famille s'inclinèrent immédiatement face
contre terre, attendant le jugement.
"Par l'autorité à nous conférée par la Divine Loi de l'Empereur
et par son fidèle serviteur, Gogenso Kaji, Chef du Clan Gogenso,
et Shogun de sa Majesté Céleste, voici la sentence prononcée
pour le règlement du litige opposant la famille Jinzu à la
famille Kimue.
Il est statué que la vallée de Kaeba est propriété de l'Empereur
et qu'elle sera dorénavant administrée par les autorités du
Clan Gogenso en son nom. La famille Jinzu se verra confiée
par le Clan Gogenso l'exploitation du flanc Est de la vallée
tandis que la famille Kimue exploitera le flanc Ouest, et
ce jusqu'à nouvel ordre.
Par la volonté de l'Empereur et de Gogenso Kaji son représentant
en ces terres, voici la sentence ordonnée en ce 3ème jour
de la dixième lune de l'an 1101, qu'il en soit ainsi."
Les deux chefs de familles relevèrent la tête, dardant un
regard furieux vers Kishiro. Ils se retirèrent sans discuter,
mais leur inimitié envers le jeune magistrat était clairement
perceptible. Une fois partis, Yuzen se rapprocha de Kishiro,
et lui dit :
"Je crois que vous ne vous êtes pas fait des amis aujourd'hui,
Kishiro-san.
- Je suppose aussi, mais c'était la meilleure alternative.
- Que voulez-vous dire, Kishiro-san ?
- Ces deux familles vont désormais être trop occupées à me
détester pour se hair l'une l'autre dorénavant. Je pense que
nous éviterons ainsi le conflit civil que nous craignions,
et tant pis si elles me haissent.
- C'est une étrange facon de voir les choses, mais je comprends.
- Vous savez, Yuzen-san, mon devoir premier est de d'abord
faire respecter la Loi de l'Empereur, pas de me faire aimer."
Yuzen éclata d'un petit rire.
"Vous êtes vraiment différent de Samu-san, mais je pense que
vous ferez aussi bien l'affaire, Kishiro-san.
- Peut-être, oui. Ah, aussi, faites imposer une zone de démarcation
de cent empans de large entre les deux flancs de la vallée,
inutile de courir plus de risques, je ne tiens pas à les voir
s'échanger des actes de courtoisie déplacés dans le futur
proche.
- Ce sera fait, Kishiro-san.
- Parfait, je pense que d'ici quelques mois, les deux familles
seront prêtes à redemander un droit d'exploitation conjoint
de la vallée, et tout rentrera dans l'ordre.
- Vous ne craignez vraiment pas leur rancune ?
- Un souverain sans ennemi est un mauvais souverain, il en
va de même pour ses représentants. L'important est d'abord
que l'ordre soit respecté, et que la justice soit appliquée.
Nous ne sommes pas là pour plaire à tout le monde, mais faire
en sorte que la nation soit bien gérée et prospère.
- Je comprends."
Sur ces mots, Kishiro-san prit congé et rentra dans la Cité
du Clan Gogenso. On ne pouvait dire qu'il était complètement
satisfait de l'issue qu'il avait donnée à cette querelle,
mais c'était la meilleure solution qu'il ait trouvée. Il se
demanda un instant ce que Samu aurait fait à sa place, puis
chassa cette pensée. Inutile de se comparer au petit médecin,
l'essentiel était d'abord de faire son travail au mieux, suivant
ses méthodes à lui.
Il verrait bien où tout cela le mènerait.
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